La révolution culturelle de l’art par la science et la technologie ?

Cécile Gauthier, chargée des relations avec le public pour la scène nationale l’Hexagone, située à Meylan, a accepté de répondre à nos questions, au micro de Charlotte Derycke le vendredi 27 mars 2020.
Charlotte Derycke : Qu’est-ce que l’Hexagone ?
Cécile Gauthier : L’Hexagone est une salle de spectacle située à Meylan qui existe dans sa structure actuelle depuis 1990. C’est à cette époque qu’elle obtient le label « Scène nationale » délivré par le Ministère de la Culture et qui entre dans les politiques de décentralisation culturelle. Ces salles reçoivent une aide du Ministère de la Culture afin d’offrir à la population française une programmation de qualité. On compte soixante-dix scènes nationales en France aujourd’hui.
C.D : L’objectif a-t-il, dès l’origine, été d’obtenir ce label de scène nationale ?
C.G : L’Hexagone était avant comme un plus petit centre culturel et le directeur de l’époque s’est battu pour faire reconnaître la qualité du travail de son équipe. Ce label permettait d’asseoir sa présence sur le territoire.
Toutes les scènes nationales sont des lieux de diffusion de spectacles qui ont déjà été tournés ailleurs il y a très rarement des créations. La programmation est la plus varié possible : du théâtre à la danse en passant par la musique et les spectacles pour enfants…
Nos missions de scènes nationales concernent le soutien financier à la création contemporaine, la programmation de création contemporaine (on doit soutenir des artistes vivants et mettre en avant ce qui se crée aujourd’hui) et nous devons consacrer une partie de notre budget à l’élargissement du public.
C.D : De quelles manières parvenez-vous à vous adresser à un large public ?
C.G : Lorsque l’on commence à travailler dans le service des relations avec le public, c’est-à-dire le lien entre les artistes et le public, on se rend compte que ces questions sont délicates et complexes. Qui vient régulièrement au théâtre ? Qui vient ponctuellement, qui ne vient jamais et pourquoi ? On a un public qui vient naturellement, et il faut continuer à le nourrir. Le public ponctuel nécessite lui une programmation la plus diverse possible pour que chaque goût s’y retrouve. Le public qui ne vient pas est le plus important. Nos efforts passent d’abord par la communication. Nous devons aller vers les gens, il s’agit vraiment de relations humaines : faire en sorte que le public se nourrisse le plus possible de la venue d’artistes.
Comment allons-nous chercher notre public ? Nous cherchons d’abord des relais que nous arrivons à convaincre individuellement et qui permettent de toucher un public plus large. C’est par exemple un directeur de lycée, un responsable d’atelier d’écriture ou un responsable de régie de quartier. Nous organisons ensuite une rencontre spécifique avec des lycéens par exemple, ou au cours d’ateliers pour des adultes qui pratiquent le théâtre en amateur.
La question de savoir qui vient voir du spectacle vivant est importante et elle nous amène d’autres réflexions : à quoi cela sert-il d’aller au théâtre ? Qu’apporte l’expérience du spectacle vivant que n’apportent pas d’autres activités de loisirs ? Qu’est-ce que le théâtre a de spécifique ? […] L’accès au symbolique, à des histoires qui nous permettent de mieux comprendre le monde qui nous entoure, est extrêmement important. […] L’expérience artistique permet de donner du sens à notre quotidien.
C.D : Quelles ont été les évolutions et les stratégies au fil du temps dans ce but-là ?
C.G : Je travaille dans ce milieu depuis plus de 20 ans, et je suis à l’Hexagone depuis 16 ans. J’ai eu le temps d’y voir les changements. Le changement principal en termes de projet est le développement d’activités qui mêlent recherche artistique et recherche scientifique.
En ce qui concerne le public, il n’y a pas eu de changement extrême. Toutes les salles constatent un déclin du public mais à l’Hexagone nous compensons en travaillant avec beaucoup de collégiens, lycéens, et étudiants qui viennent voir des spectacles. Cela compense le vieillissement de nos spectateurs qui viennent individuellement.
La tranche d’âge des 25-45 ans est la plus dure à toucher car il y a des enjeux forts dans leur vie.
Des changements de société peuvent aussi intervenir : les retraités que nous avons actuellement sont des années 50 et 60. La dernière génération qui a vu son niveau de vie augmenter sans cesse. Ils ont donc les moyens et le temps pour sortir.
Les nouvelles générations ont quant à elles d’autres moyens pour occuper leur temps personnel.
C.D : La nécessité de se déplacer pour le théâtre a-t-il une conséquence dans le choix que fait le public ?
C.G : Il y a des tendances sociétales qu’on maitrise très peu. Elles bouleversent un peu notre place dans la vie des gens, or cela change extrêmement vite. Un enjeu pour nous se résume à ces questions : Quelle place continue-t-on de donner à une sortie culturelle ? Quelle forme prend-elle ? Et face à tous ces changements comment faisons-nous pour continuer d’exister et intéresser le public ?
Nous avons tellement d’occupations à la maison que nous faisons toujours face à des choix individuels. En termes de sorties collectives, on veut plutôt se concentrer sur la convivialité. Quand il s’agit de s’asseoir dans un siège et d’écouter, ce n’est pas vu comme une sortie conviviale.
Mais l’expérience du spectacle vivant n’est pas seulement le spectacle en lui-même, c’est aussi le fait d’être tous ensemble dans une même salle.
Il s’agit de pouvoir construire une culture commune en ayant les mêmes références. Nous sommes dans des sociétés où les cultures individuelles sont promues. […] Le spectacle vivant peut être une solution comme bien d’autres activités.
C.D : Le coronavirus entraine une transition avec le numérique pour rester attractif. Quelle est la politique mise en place en cette période ?
C.G : On essaie un peu d’improviser (rire), on a peu de vision sur ce que ça peut entraîner en conséquence. On verra ce que ça laisse comme trace.
Depuis dix ans nous développons très fortement des projets arts sciences. Le directeur actuel Antoine Conjard souhaitait s’adresser au public du territoire. Sur l’agglomération grenobloise on trouve des scientifiques (ingénieurs, chercheurs, enseignants) notamment dans les nouvelles technologies. Nous avons alors créé un événement public qui s’appelle : les Rencontres-i (i pour imaginaires) qui a duré quelques années. Il s’est transformé au fil du temps en une Biennale qui s’appelle Experimenta. Cet événement se déroule sur dix jours, il mêle des spectacles, des conférences, ainsi qu’un Salon qui permet d’accueillir vingt-cinq artistes et scientifiques qui travaillent ensemble. En dehors de cet événement, nous avons créé en 2010 l’atelier Arts-Sciences. Nous avons rapidement eu le CEA de Grenoble comme partenaire. […] Les scientifiques trouvent les artistes intéressants, ils recherchent un peu de poésie pour inventer demain ensemble. Les artistes sont de vrais témoins de ce qui se passe.
Les deux parties co-dirigent cette plateforme de recherche, et nous accueillons toute l’année des artistes et des scientifiques qui mènent des projets communs. […]
Nous avons eu au sein de l’Hexagone, quelques réticences quant à cette ligne directrice. Aujourd’hui toute l’équipe est fédérée autour de ce projet. L’enjeu est de dépoussiérer l’image du théâtre. Le numérique tisse un lien entre la vie de tous les jours et le monde de l’art. Cette politique crée des ponts entre les différents moyens d’occuper son temps libre.
C.D : Vous déplacez-vous vers votre public ?
C.G : Tout-à-fait, l’Hexagone propose aux jeunes une réflexion sur l’utilisation que l’on peut avoir des technologies, grâce à des interactions avec les artistes. […] Par exemple, Lionel Palun est un électro-vidéaste qui travaille l’image en direct sur scène. Il capte une performance, qui est instantanément modifiée par ordinateur et projetée sur scène. Il crée ainsi des boucles d’images et tisse des liens entre images et interprètes sur scène. Cela s’apparente à l’art pictural. Cette création originale sert alors de décor. Cet artiste est intervenu dans de nombreux collèges, notamment le collège des Buclos à Meylan. Il a animé des ateliers permettant aux élèves de se filmer et de retravailler l’image en direct. Cette intervention a touché tous les élèves, mais aussi l’ensemble du corps professoral, qui s’est senti concerné par cette performance transdisciplinaire. Le but est que les élèves soient des spectateurs actifs : ils se sont ensuite rendus à une représentation à l’Hexagone, impliquant le travail de M. Palun.
C.D : Le choix des artistes se fait-il par rapport aux nouvelles technologies ?
C.G : L’Hexagone recherche en effet des artistes présentant cet aspect. Cependant, il n’y a pas d’exclusivité, dans la mesure où une partie du public est un peu plus hermétique à l’utilisation de nouvelles technologies.
Nous restons ouverts sur la question scientifique. Cela concerne notamment les questions écologiques, qui seront très présentes l’année prochaine dans notre programmation. Mais nous sommes aussi sensibles aux sciences sociales, ça a été le cas pour les questions migratoires.
C.D : Vous concentrez-vous sur une science particulière chaque année ?
C.G : Le choix de l’Hexagone se fait avant tout d’un point de vue artistique. Antoine Conjard se rend à de nombreux spectacles et il programme ceux qui le touchent. Le fait est qu’au fur et à mesure de la programmation, une certaine thématique semble se dégager de l’ensemble des représentations.
Toutes ces évolutions de programmation permettent de toucher plus de personnes. Le projet Arts Science a été un moyen d’élargir le public. Néanmoins, chaque changement de programmation a pour conséquence de renouveler une partie du public : nous perdons des spectateurs mais en gagnons d’autres.
C.D : Quelles sont les conséquences de ce projet Arts Sciences ? Quelles évolutions sont envisagées ?
C.D : Cela nous a permis une ouverture internationale. C’est un projet porteur pour nos financeurs, ainsi que pour notre public. Par ailleurs de plus en plus d’artistes s’intéressent à ces questions.
Il reste toutefois compliqué d’avoir un regard sur le futur. L’important est de rester dans l’actualité.
C.D : Avez-vous quelque chose à ajouter ?
C.G : Le numérique et la technologie sont des outils, dont il faut maîtriser l’utilisation, mais l’Hexagone reste d’abord attaché à la rencontre entre artistes et spectateurs. Le numérique est un moyen, mais nous prônons avant tout de se déplacer au théâtre. La technologie permet de faire venir plus de monde.
Nous avons pour ambition de participer à la formation des citoyens de demain, par les interventions auprès des jeunes. Le but est de faire réfléchir, et de donner les moyens de penser.
Finalement, l’accès à la culture est une vraie question, même si nous avons conscience de l’inégalité concernant ce sujet. Toutefois cela requiert des mesures politiques importantes qui ne vont pas toujours dans ce sens.
A notre niveau, nous cherchons à permettre au public de se nourrir grâce à des artistes qui ont un vrai regard sur le monde qui les entoure.
Merci à Madame Gauthier pour sa disponibilité !
L'Hexagone est situé sur la commune de Meylan (38), à proximité du centre commercial Carrefour de la ville. Vous trouverez toutes les informations dont vous avez besoin sur leur site Internet : www.theatre-hexagone.eu